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Ce n'est pas le but qui compte, c'est le chemin

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L'aube colore le ciel d'un orange nouveau, surprenant une ombre qui se glisse au-dehors du manoir s'élevant haut dans le ciel encore teinté de la nuit, rejoignant les écuries. Quelques secondes plus tard, les sabots d'un grand équidé claquent sur les pavés. L'ombre file dans la grande rue encore endormie, le visage de son cavalier dissimulé sous une cape sombre. Dans la nuit, elle se fond et avance parmi les ombres, s'éloignant des larges rues des hauts quartiers pour trouver les ruelles marchandes. L'équidé ne renâcle pas, aussi silencieux que sa maitresse. Seuls ses sabots claquent toujours dans les rues qu'il emprunte, selon les désirs de l'ombre sur son dos, murmurant quelques instructions à son oreille. Les minutes défilent, les rues se succèdent. Al-Jeit est grande, Al-Jeit s'éveille. Et doucement, les premiers rayons s'étirent derrière les montagnes, caressant les plus hauts sommets de la capitale. Le jour se lève et avec lui, une nouvelle aventure. L'ombre ne sourit pas sous sa capuche, son visage nu de la moindre émotion, pourtant, elle se réjouit de ce voyage, des promesses de ces prochains jours, d'une expérience nouvelle. Pour elle, mais surtout pour la petite. Cette fois-ci, plus question d'un jour ou deux, plus question de se dissimuler dans son manoir, de passer d'un masque à l'autre, coupant net à son apprentissage, plus question de remettre à demain ce qui doit être fait aujourd'hui. Cette fois-ci, le voyage durera un mois. Un long mois lors duquel l'apprenti suivra son maître, un terrible et long mois lors duquel le maître fera vivre un enfer à son apprenti, mêlé d'intenses leçons et d'aventures. Un mois marchombre. La Voie est pavée d'inconnu, d'excitation, de libertés, la Voie n'est pas tracée et lors de ce mois, le maître et l'apprenti poseront de nouvelles pierres sur cette route de briques jaunes qu'elles empruntent ensemble le temps d'une page de leur vie.

Les volets s'ouvrent, les portes claquent, les alaviriens sortent du sommeil et s'éveillent. Dans ces petites ruelles, la vie renait après la nuit et la silhouette sombre dévoile son visage à la lumière. Son regard pâle scrute la rue, observant le moindre habitant de la capitale, la moindre brèche. Sa respiration calme ne tressaute pas lorsqu'elle met pied à terre, restant aux côtés de l'étalon, toujours silencieux. Ses mains s'emparent alors de sa capuche, la laisse retomber, dévoilant une longue chevelure sombre aux reflets d'ambre retombant sur ses épaules. Et Eleanor attend, là, au beau milieu de la rue, son apprenti. Les minutes s'étirent, s'écoulent, l'aube est passée déjà, et soudain, un sourire s'étire sur ses lèvres. Et avant qu'elle ne se retourne, sa voix brise le silence matinal de la rue en éveille.

- Tu es en retard, le soleil s'est déjà levé.

Sourire effacé, la marchombre se retourne, fait face à son élève. Quelques secondes, elle l'observe, prend un instant pour graver cet instant en mémoire. Dans un mois, cette enfant sera différente, légèrement, certes, mais différente. Quelque chose en elle est sur le point de se produire, un changement majeur. Un changement qu'elle n'escompte pas même un instant.

- Allons-y. Et en silence. Sur le chemin, observe la rue, observe les alaviriens, observe le monde. Ecoute l'aube, laisse-la t'offrir ce qu'elle a pour toi. Laisse tes sens capter la moindre information et apprend d'eux.

D'un geste, la femme enjoint son élève à ne poser aucune question, ce n'est pas l'instant pour. Ce matin, il lui faudra faire preuve de patience et apprendre à écouter, tout du moins lors de ce cours voyage qui les mènera à leur première destination. C'est donc dans un silence commun que maître et élève avancent dans les rues d'Al-Jeit, la femme aux côtés de son grand étalon pommelé, silencieux lui aussi. Les rues défilent sous leurs bottes, les gens sortent et la vie a repris. Soudain, Eleanor s'arrête devant un bâtiment. Des écuries. Elle pose un regard sur son élève, entre, salue un écuyer auquel elle confie sa monture. La marchombre se tourne vers la jeune fille, mais croisées devant elle.

- Nous partons un mois, je ne compte pas marcher et toi non plus, il te faut une monture. Il est facile d'en choisir une pour sa couleur, son prix, ou même simplement pour aucune raison particulière.

L'ombre d'un sourire s'étire au coin de ses lèvres.

- Ton choix ne doit pas se faire à la légère, ton cheval sera ton allié, vous ne ferez qu'un. Tout à l'heure, je t'ai demandé d'observer, sur le chemin, tu as laissé tes sens capter le monde, pour le comprendre. Vas, regarde chaque écurie, observe et écoute ce que ces chevaux ont à te dire. Et fais ton choix, fais-le bien.

Le propriétaire de l'écurie est prévenu, qu'importe l'animal, Eleanor y mettra le prix. La jeune apprentie a le champ libre, mais cela, elle l'ignore.

- Ce sera mon premier présent pour toi. Et ta première leçon de ce long voyage. Silence et écoute. Vas, maintenant, je t'attend ici.

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J’étais en retard. Je venais de me réveiller et c’était ma première pensée, j’étais en retard. Eleanor m’avait dit de la retrouver à l’aube et moi je me réveillais à l’heure de rendez-vous. Autant dire qu’il ne me fallut pas longtemps pour enfiler mon pantalon et ma chemise que je rentrais dans mon pantalon tandis que je courais dans les rues pour tenter de rattraper mon retard. Et malgré cela, ma Maitre me fit la remarque que j’étais en retard, comme si je ne m’en étais pas rendue compte auparavant. J’eu juste le temps de lui murmurer quelques mots d’excuse tandis qu’elle m’observait avant qu’elle se détourne et me donne le signal du départ, m’ordonnant comme depuis le début de mon apprentissage de me taire.

Mais au moins pour aujourd’hui j’avais quelque chose à faire, regardez autour de moi et saisir la voix d’Al-Jeït, les moindres bruits qui la peuplait. Je savais le faire quand j’étais seule sur les toits, m’emplissant de sa beauté donc cela ne releva pas d’un immense défi pour moi et si je ne prononçais pas un mot, je tournais la tête dans tout les sens pour tout voir, tout saisir. A plusieurs reprises je ne pus retenir une expression de contentement ou de surprise, mais c’était bien les seuls bruits que je fis durant tout notre trajet jusqu’aux écuries. Et quand on arriva, j’ouvris la bouche pour m’exclamer et partager mes impressions avec celle qui possédait trois ans de ma vie mais elle me coupa l’envie sous le pied et je me retrouvais bornée à l’écouter tout du long. Et je ne pus me retenir de sautiller quand elle m’annonça que je pouvais choisir le cheval que je souhaitais, même si je devais veiller à bien le choisir car il m’accompagnerait pour un long moment. En fait, j’allais même plus loin que des petits bonds sur place, me jetant sur elle pour l’enlacer de toute mes forces, les larmes aux yeux.

« Merci...sincèrement merci Maitre »

Me détachant d’elle, je lui adressais mon plus beau sourire avant de me précipiter le plus vite possible, sans pour autant courir, vers les box, m’arrêtant devant chacun d’eux pour observer les bêtes qu’ils contenaient. Plusieurs montures me plurent mais elle m’avait dit de bien choisir, d’écouter ce que chacune avait à me dire. Et dans mon état d’agitation je ne pouvais pas bien choisir, cela était certain. C’était comme si j’essayais de coudre avec des mains tremblantes, cela n’était pas faisable. Donc j’avisais un tas de foin au milieu de la rangée de box et je m’installais dedans, les genoux remontés sous le menton, les yeux fermés et je me calmais comme ça.

Je ne sais pas combien de temps cela me prit, mais mon cœur finit par s’apaiser et je pouvais entendre tous les bruits des écuries, les chevaux renâclés, les palefreniers s’affairer à diverses taches mais cela ne m’intéressait pas. J’avais l’impression qu’il manquait d’un élément, que quelque chose clochait et je le vis dès que j’ouvris les yeux, je n’entendais pas un cheval. Le box était bien occupé par un cheval gris moucheté de blanc, mais il n’y avait aucun bruit qui provenait de là, pas un renâclement, pas un soupir, de paille qui grince, rien, comme s’il savait être silencieux. Et moi qui parlait en permanence, posait beaucoup de questions, ce cheval m’intriguait. Me relevant le plus silencieusement possible, je m’approchais de la stalle et tendis ma main vers la monture tout en me mettant à lui chuchoter des mots, le complimentant sur son silence, sur sa beauté discrète, mais pas de réaction. Ses oreilles ne bougèrent pas, il me regardait mais sans plus de réaction, comme si je n’avais pas parlé. Me tournant vers un jeune apprenti qui passait par là, je l’arrêtais avant de l’interroger.

« Excusez-moi, mais pourquoi il ne réagit pas quand je lui parle, même pas un mouvement d’oreille.
- C’est qu’elle est sourde de naissance.
- Elle appartient à quelqu’un ?
- Non, personne n’en veut, elle n’est pas utile vu qu’elle n’entend rien. On pense même à l’abattre. Elle ne nous rapporte rien et est même un poids pour nous.
- Est-ce que je peux entrer un peu dans son box, s’il vous plait ?
-C’est que..je ne sais pas, elle n’est pas connu pour son bon caractère.
- S’il vous plait, je ferais attention, je vous en fait la promesse.
- Par la Dame, si vous voulez, mais vous serez prévenus si elle vous donne un coup de sabot. »

J’hochais la tête et retirais le loquet pour rentrer dans son box, un morceau de pomme à la main que je tendis à l’animal. Bizarrement, il ne tenta pas de se rebeller de voir une intruse dans son box, comme si cela était tout naturel que j’entre ainsi. Tandis qu’elle mâchouillait ma friandise, je caressais son chanfrein tout en souriant, émerveillée par cette créature et ne trouvant pas les mots. Elle était sourde mais elle avait réussi à tenir jusqu’à maintenant et on parlait de l’abattre, alors que cela aurait pu être fait depuis longtemps. Je la trouvais si belle, si pleine de résilience et j’avais envie de la protéger. Cela pouvait paraitre ironique quand on savait que j’étais un moulin à paroles, mais je voulais que mon compagnon de route soit cette jument et pas un autre. Lui murmurant de nouvelles paroles qu’elle n’entendit pas, je ressortis, refermant correctement la porte sans savoir combien de temps j'avais été dans la stalle. Avisant Eleanor, je me contentais de lui faire mon plus beau sourire avant de doucement tendre le doigt vers la jument grise. Je n’avais pas besoin de mots, cela devait se lire dans mes yeux que ma décision était prise, que c’était elle et pas une autre. Au fond de moi, j’avais déjà prise ma décision, je la protégerais et serait sa paire d’oreille vu qu’elle n’entendait pas.

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La surprise se glisse sur son visage lorsque la jeune fille se jette à son cou, l'enlace de toutes ses forces, larmes aux yeux. Eleanor est dure, exigeante, elle en demande beaucoup à ses apprentis, toujours. C'est une condition sans possibilité de négociations. La marchombre parfois peut paraître aigrie, sévère, manquer cruellement de coeur, parce qu'elle attend le meilleur et qu'elle n'admet pas l'abandon. Lorsqu'elle prend un apprenti sous son aile pour lui enseigner la Voie, il lui donne alors trois années de sa vie, trois années où cette jeune âme n'est plus propriétaire de son destin, elle attend donc de lui l'obéissance et la rigueur absolue. Oui, l'on entend beaucoup de choses à propos d'Eleanor Ahslin, dans les nuits froides de Gwendalavir. Une femme impitoyable. Et impassible. Pourtant, alors que la jeune Helizabeth l'enlace, un sourire dissipe la surprise de son visage. Un sourire doux, tendre, à la hauteur de cet instant touchant qu'elle offre à son apprentie. Une leçon d'écoute et de partage, une leçon primordiale pour cette jeune pipelette aux si nombreuses questions. C'est là l'une de ses qualités, elle veut comprendre le monde. Mais comment le pourrait-elle si elle ne parvient pas à l'écouter à son tour ? Il lui faut apprendre à se taire pour écouter les réponses que l'univers a à lui offrir. En cet instant, la douceur du moment remporte la partie et tire un sourire sincère à la mère qu'est Eleanor. Parce qu'avant toutes choses, c'est une mère. Et les nombreux apprentis qu'elle a eu ont été pour elle comme ses propres filles et fils. Une mère ne peut rester de marbre face à la joie de l'un de ses enfants.
Lorsqu'enfin Helizabeth brise le lien, relâchant ses bras et reculant de quelques bonds, la marchombre retrouve son expression naturelle, noble et sereine, bien que son coeur soit encore tendrement touché du bonheur de la jeune fille qui la remercie alors de ce présent, sourire aux lèvres, se précipitant presque aussitôt vers les écuries. Eleanor la voit tenter de se retenir de courir à toutes jambes, cette scène fait naître un nouveau sourire à la marchombre. Quelques minutes s'écoulent, Eleanor attend au milieu de la cour. En temps normal, elle se serait glissée à la suite de son apprentie, pour l'observer. Pour cette leçon, ce ne sera pas le cas, c'est un moment qu'elle doit vivre seule, bien qu'Helizabeth ne remarquerait même pas la présence de son maître dans son dos. Cette fois-ci, Eleanor ne surveillera pas son apprentie. Il s'agit de son temps.

Ainsi debout au beau milieu de la cour des écuries, la marchombre croise ses mains devant elle, ferme les yeux. Et patiente, s'imprégnant du calme matinal, s'abreuvant du moindre son parvenant jusqu'à elle. Doucement, elle perçut la voix de son apprentie qui s'adresse à un écuyer, elle perçoit le maître des lieux qui grogne contre un jeune garçon qui a eu le malheur de faire tomber un sac de graines. Elle entend la vie des écuries. Doucement, le rythme de sa respiration ralentit, yeux toujours clos, la marchombre oublie toutes ces voix et enfin, écoute le vent. Cette brise légère de l'aube apportant les nouvelles d'Al-Jeit. Le temps défile, lentement, et un homme passe à côté d'elle sans qu'elle ne bronche. La marchombre écoute l'univers.
Et soudain, elle l'entend. Son apprentie a choisi. Doucement, un nouveau sourire se fraye un passage jusqu'aux lèvres d'Eleanor, qui rouvre presque instantanément ses yeux. Elle l'a trouvée, la jument. Celle qui semble en apparence si chétive, inutile de par son handicap et qui pourtant a tant à offrir. Helizabeth l'a trouvée. Et soudain, la jeune apprentie sort presque en courant des écuries, se rue vers son maître, un sourire immense collé à ses lèvres. Elle tend le doigt vers l'écurie de la jument grise, sans le moindre mot, ce qui est bien une première depuis leur rencontre. Eleanor esquisse un sourire, hoche de la tête.

- Renald, je vous prend la jument grise dans le dernier box.

Le gérant des écuries s'approche de ses clientes, un regard surpris.

- La sourde ? Qu'est-ce qu'vous allez en faire ? C'pas la meilleure monture, croyez-moi bien, m'dame. Vous voulez pas d'un aut' canasson un peu plus fort ?

Les yeux de glace, implacables, de la marchombre se braquent sur lui. Presque instantanément, le gérant ne pipe plus le moindre mot, parce qu'elle n'a pas même besoin d'en dire davantage, il a compris. Il n'obtiendrait rien, il ne pourra pas même tenter de vendre l'un de ses plus chers étalons. Alors, il lui donne son prix, la marchombre lui donne une bourse pleines de pièces de bronzes, bien assez pour payer la jument, une selle et tout ce qu'il faut pour un long voyage d'un mois. Une fois la jument sortie, prête à être montée, Eleanor se tourne vers son apprentie.

- Sais-tu monter ? Qu'importe, tu apprendras sur la route. Grimpe et allons-y, le temps file, nous devons nous hâter.

Derrière elle, son étalon n'a pas bronché. Et alors qu'elle se retourne, la noble se hisse d'un geste souple sur le dos de sa monture et se retourne vers la jeune fille, attendant qu'elle fasse de même. Une fois toutes deux prêtes, la maître marchombre donne le départ et toutes deux quittent les écuries pour les rues d'Al-Jeit, en direction de la grande porte du nord, la porte d'Améthyste.

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Je savais ce que je voulais, quel cheval me conviendrais le mieux. Elle avait raison, il fallait parfois se taire pour entendre ce que le monde veut nous dire. Si je ne l’avais pas fait, c’était certain que je serais passée à côté de ma nouvelle compagne de route, car c’était ce qu’elle était déjà à mes yeux. Et j’étais bien déterminé à l’avoir elle et pas une autre. De toute manière, je ne comptais pas partir sans elle. Eleanor a dit que je pouvais choisir celui que je voulais du moment que je le choisissais bien. J’avais fait mon choix, j’espérais bien qu’il serait respecté. Si bien que je fis la moue et commença à m’offusquer d’un « Mais ce n’est pas… » avant de me taire, Eleanor ayant résolu le problème d’un regard glacial, même moi je n’aurais pas voulu le recevoir. Le vendeur lui donna son prix, elle lui remit de l’argent et on m’amena ma nouvelle monture. Le temps qu’on la selle, je lui caressais le chanfrein, tout sourire, n’ayant aucune envie de parler, juste d’être avec elle. En fait, mes seules paroles durant ce moment-là rien qu’à nous deux ce fut un murmure pour lui dire que je m’appelais Helizabeth.

Je détachais toutefois mon attention d’elle quand ma Maitre reprit la parole et m’ordonna de monter sur son dos car nous devions y aller, me laissant même pas riposter car elle se détournais déjà pour se hisser sur sa monture. De mon côté je m’efforçais à en faire de même sans aide extérieur, résultat peu concluant qui poussa ma jument à faire une embardée une fois que j’étais grimpée. Je tapotais son flanc en m’excusant avant de lui donner un léger coup de rêne pour donner le départ, suivant l’étalon de celle qui possédait trois années de ma vie.

Tout au long du trajet jusqu’à la porte d’Emeraude, je restais totalement silencieuse, les yeux fixés sur le dos de la femme me devançant, m’efforçant d’écouter ce que ma monture avait à me dire, mais je n’entendais rien du tout. Enfin si, j’entendais bien le bruit de ses sabots sur le sol, le cliquètement des pièces de métal, un ou deux renâclements mais pas ce que je souhaitais, son prénom. Elle devait bien s’appeler d’une manière ou d’une autre mais moi je n’entendais rien et cela m’embêtais énormément. Je ne voulais pas lui donner un autre prénom que le sien. C’était comme si elle était aussi muette que sourde, et pourtant je l’avais entendu renâcler donc cela n’était pas possible. Finalement j’abandonnais ma recherche pour le moment, me contentant de me laisser mener jusqu’à la porte d’Emeraude. Toutefois, je repris la parole dès qu’on l’eu passé et qu’on était plus entouré de monde, venant me mettre au côté de ma Maitre.

« Eleanor, j’ai un problème et j’ai besoin de ton aide. Je ne l’entends pas. Pourtant j’ai fait comme tu m’as dit, j’ai observé des écuries jusqu’à ici, écouter ce qu’elle avait à me dire, mais je n’ai pas eu ma réponse. Je ne sais pas comment elle s’appelle. Pourtant je lui ai posé la question dans sa stalle tout à l’heure. Tu comprends, je ne veux pas lui donner un autre prénom que le sien. Sa maman a bien dû lui en donner un. Pourquoi je ne l’entends pas. Est-ce que c’est parce qu’elle ne veut pas me le donner, qu’elle ne sait pas comment le faire, que je ne suis pas assez douée pour l’entendre ou bien qu’elle n’en a pas. Et puis comment toi tu as su le prénom de ton étalon, il te l’a dit ? Tu l’as deviné toute seule ? Tu comprends, c’est important pour moi, je ne peux pas l’appeler Jument et lui donner un autre prénom que le sien, je suis bien embêtée là… Aide moi s’il te plait. »

J’avais beaucoup parlé d’un coup, mais c’était que ce sujet me tenait à cœur. Je ne pouvais pas démarrer une histoire avec ma jument sans savoir son prénom. Cela me semblait inenvisageable. Et je refusais de l’appeler autrement que par celui qu’elle portait de naissance. Me mordillant fortement la lèvre inférieure tellement j’étais embêté, je la regardais, espérant qu’elle saurait me donner la solution à mon problème.

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Les rues désertées par la nuit s'emplissent de rumeurs et de travailleurs. Les alaviriens sortent et s'éveillent, le soleil vient à peine de dépasser l'horizon des montagnes au loin. Et la marchombre, droite sur son étalon, sourit. D'un demi-sourire amusé, de celui qui est satisfait. Derrière elle, son apprentie est silencieuse. Son maître entendrait presque les rouages de ses pensées tourner encore et encore sous sa chevelure brune. Les miracles existent-ils ? Peut-être, après tout. La Dame aura sûrement entendu les prières de la noble. Ses premières frayeurs quand à l'incessant vacarme que produit la bouche de son apprentie se dissipent l'espace d'un instant. Cette première leçon d'un si long voyage est-elle acquise ? Probablement pas, mais la marchombre insistera. Car si cette jeune fille consent à écouter ce qui vit autour d'elle au lieu de piailler sans cesse, peut-être pourra-t-elle parvenir à obtenir quelque chose d'elle. Peut-être. La marchombre s'y emploiera, car elle voit cette étincelle briller tout autour de la jeune fille, l'étincelle de la Voie. Et depuis leur rencontre, celle-ci n'a cessé d'évoluer, de se tordre dans tous les sens, de grandir parfois, pour redevenir si petite. Et pourtant, elle est toujours là, cette étincelle. Et ne semble pas prête à disparaître. L'instinct de la noble ne la trompe que rarement et cette gamine-là, bien qu'une langue trop pendue l'empêche encore d'entendre les subtilités du monde, cette gamine-là avance sur la Voie. Plus tard, elle pourra recommencer à piailler, lorsqu'elle saura crier et écouter en même temps. Pour l'instant, elle apprend. Et aujourd'hui, elle apprendra la patience et le silence. Mais surtout, l'écoute.
Les deux montures progressent tranquillement dans les rues d'Al-Jeit et très vite, parviennent enfin en vue de la grande porte d'Améthyste, lourde et imposante. Un ogre pourrait largement s'y engouffrer sans détruire l'arc triomphal de cette merveille d'architecture. L'oeuvre de nombreux dessinateurs aux talents indéniables. Eleanor détourne son attention de la pierre et de ces marques de l'Imagination, car son coeur commence à battre irrégulièrement. Le dessin... La femme pousse un soupire et lorsqu'elle dépasse la grande porte, suivie de près par son apprentie, que toutes deux entament la descente sur ce si grand pont, la voix de la jeune fille s'élève dans son dos. Le pont est déjà bondé, les calèches et autres voyageurs se pressent pour entrer et sortir de la ville. Mais ce n'est rien, plus tard dans la journée, le monde grouillera bien plus encore.

Dès les premiers mots de son apprentie, la maître ralentit la cadence de son étalon pour se retrouver aux côtés de la jeune fille qui expose toujours son problème. Amusée par le flot de paroles, la marchombre se rend compte alors qu'il faudra lui apprendre à respirer également, de peur qu'elle s'étouffe avec ses mots. Mais elle sourit, le regard toujours fixé sur l'horizon, les claquements des sabots des montures sur les pavés rythmant la suite de cette nouvelle leçon.

- Bien. Nous avançons seulement depuis une quinzaine de minutes.

Un homme lance un regard vers la grande rousse qui le lui rend, son visage lui dit quelque chose. Peu importe, elle continue sa leçon, ainsi que leur descente vers les plaines.

- Parfois, écouter prend du temps et tu commences tout juste, jeune apprentie. Cela ne fait que depuis ce matin que tu tend l'oreille, donnes-toi du temps. Parfois, le mieux à faire est de ne pas forcer et de seulement rester ainsi, silencieuse à attendre. Parfois, le vent te donne ce que tu cherches, à trop chercher, à trop attendre, tu n'entendras rien. Ce n'est que le début, sache que j'apprend à entendre depuis bien plus longtemps que toi et parfois, cela ne me prend que quelques secondes lorsqu'un autre jour, la brise me portera l'information un jour plus tard. Rien ne fonctionne lorsque tu forces. N'essaye pas à tout prix d'entendre, écoute simplement. Et son nom te viendra. Cet après-midi, demain, dans trois jours peut-être qui sait. Ne te presse pas.

Les sabots ne claquent plus, les pavés remplacés par une route de terre. Le maître et son apprenti parviennent enfin au bas du grand pont menant à la porte d'Améthyste. D'un geste si léger de la main qu'aucun n'aurait pu le percevoir, Eleanor indique la route à prendre à son étalon qui suit la route. Les deux femmes s'éloignent alors de la route principale, prennent la direction de Chen.

- Il me l'a offert, son nom. Je n'ai pas demandé ni insisté, il a pris son temps et lorsqu'enfin la confiance s'est installée entre nous, il me l'a offert comme un gage de son respect. Nous faisions route vers Al-Chen, comme aujourd'hui. Un soir, au bord du Pollimage, il s'est approché de moi et nos regards se sont croisés, un souffle d'air a soufflé sur la plaine. C'est à cet instant que je l'ai entendu. Patience.

Un nom qui lui colle à la peau, l'étalon est fougueux, loyal, sournois parfois. Mais plus que tout, il est Patience. Eleanor tourne un regard vers son apprentie, quitte quelques instants l'horizon.

- Ecoute, mais donne-toi du temps. Elle te dévoilera son nom lorsqu'elle l'aura décidé et pas avant. A présent, avançons. Nous avons de la route à faire.

Et aujourd'hui, leur but est d'atteindre les rives du Pollimage à midi.

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Si j’avais été aussi silencieuse durant tout le chemin dans la ville, c’était bien pour écouter et entendre ce qu’elle avait à me dire. Et puis je m’étais promise que je serais ces oreilles qu’elle n’avait pas, donc il me fallait être le silence, ne pas parler, du moins pas de trop et écouter ce qu’elle n’entendait pas.

Toutefois, je ne pus pas m’empêcher de questionner ma Maitre dès que l’on passa la porte d’Emeraude, lui exposant le problème auquel j’étais confrontée, je n’avais pas entendu son prénom, je ne le savais pas et n’avait aucune piste pour l’appeler. Puis je retombai dans mon silence pour écouter ce que Eleanor avait à me dire, comprenant à moitié ce qu’elle me disait. Le fait que c’était ma jument qui me l’offrirait quand elle le souhaiterait, je comprenais, qu’écouter prenait du temps, aussi. En revanche son histoire de vent qui porte les informations quand il lui plait, un peu moins. J’en venais même à me demander si elle n’avait pas pris une plante hallucinogène pour obtenir ce résultat. Ou alors c’était juste un truc de Marchombre que j’apprendrais un jour, et que je comprendrais aussi. Mais pour le moment, elle avait raison, il nous fallait avancer car nous avions de la route. Et moi je devais faire un peu plus connaissance avec ma monture. J’espérais qu’un jour je serais aussi proche d’elle que l’était les deux camarades à mes côtés. On voyait qu’ils se connaissaient depuis longtemps, savait comment l’autre fonctionnait ce qui faisait d’eux un duo inséparable.

Je cessais toutefois là mes réflexions car je sentais que ma jument voulait me dire quelque chose. J’avais beau tendre l’oreille, je n’entendais rien, je le ressentais surtout. C’était comme s’il y avait une tension, que cela bourdonnait dans l’air. Mais le plus bizarre, c’est que je ressentais la même chose en voyant l’immense étendue s’étalant devant nous, je voulais courir. Et sous moi, ma partenaire semblait ressentir la même chose, me montrer de quoi elle était capable. Souriant un instant à Eleanor, l’air de m’excuser du regard, je ne dis que deux mots, deux uniques mots pour lâcher cette tension qui nous habitait toutes les deux et qu’on voulait libérer.

« Vas-y »

Comme si elle n’attendait que cela, je sentis ma moitié s’ébrouer avant de se mettre à galoper tandis que je me couchais sur son encolure pour ne faire plus qu’une, riant aux éclats. Et plus je riais, plus elle accélérait jusqu’à atteindre sa vitesse la plus rapide. A ce moment-là seulement elle ralentit et moi je me redressai tout en continuant à rire, heureuse de ce moment que nous avions vécu à deux. Descendant de son dos une fois qu’elle fut à l’arrêt, je vins me mettre devant elle pour l’entourer de mes bras et enfouir mon visage contre elle.

« Tu es la meilleure, je ne pouvais pas mieux choisir. Je le savais déjà, mais maintenant j’en suis sûre. »

J’entendais son cœur battre à l’unisson avec le mien et je le savais, si elle avait pu rire et sourire avec moi, elle l’aurait fait. Tournant la tête vers les deux petites silhouettes dans le lointain, je soupirais de bonheur.

« Je ne sais pas toi, mais moi je n’ai pas envie de les rejoindre, on va les attendre, tu en penses quoi ? »

Elle s’ébroua comme pour me donner son accord donc je m’installai en tailleur dans l’herbe, à l’abri d’un arbre, tout en tenant sa bride et j’attendis que ma Maitre nous rejoigne. Je risquais d’être sermonnée, mais bizarrement, je m’en moquais complètement au vu du moment que je venais de vivre. Pour moi, c’était un moment de liberté pure, l’esprit marchombre que je touchais du bout du doigt, un avant-gout et un condensé de tout ce qui allais rythmer ma vie à partir d’aujourd’hui.

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La candeur matinale ravive des souvenirs enfouis, l'air frais s'insinue dans ses poumons, la rosée fraîche se dépose sur la crinière sombre de l'étalon pommelé. Les sabots claquent sur la route de terre alors que derrière les voyageurs se dresse la majestueuse Al-Jeit, cité bruyante, vivante. Le paysage qui s'étend devant elles inspire des promesses d'avenir, une voie nouvelle empreinte d'aventures. Éloignée du bruit et du monde. Et la marchombre sourit, nostalgique, elle en avait oublié le goût. Le goût de l'aventure. Si particulière, cette saveur mi-salée mi-piment en bouche. Eleanor se souvient de la première route ayant croisé sa Voie. Eleanor se souvient de ce premier voyage, des premières leçons. Et de ce lien unique et indéfectible qui s'est alors tissé entre elles. Eleanor se souvient de tout, de cette jeune fille aux cheveux blonds pleine de tempérament et d'avenir... mais elle se souvient surtout de la fin...
Le maître lance un regard à son apprentie. Leurs voies ne font que s'effleurer encore et pourtant, elle ressent l'électricité palpitante qui irradie cette relation naissante. Et lorsqu'elle ferme les yeux, elle distingue très nettement l'éclat timide de cette route qu'empreinte Helizabeth, encore hésitante. La jeune apprentie brûle de liberté, son aura brille d'une force sans mesure, encore fougueuse et indisciplinée. Dissipée, hyperactive, bavarde, c'est une fleur sauvage qu'il faudra dompter. Une fleur sauvage qu'il faudra guider, pour qu'elle grandisse haut vers le ciel et s'épanouisse. Et devienne ce rosier en fleurs fort et solide. Qu'elle devienne une femme. Marchombre.
Eleanor sourit lorsqu'elle l'observe apprendre du silence. C'est une première leçon primordiale, un passage décisif. Le marchombre n'est pourtant pas muet, le marchombre est mille visages. Il n'existe pas qu'un seul modèle, qu'une seule Voie. Helizabeth a tout le loisir d'être bavarde, de questionner autant qu'il lui plait. Elle doit simplement apprendre à écouter. Apprendre à obéir à celle qui tient sa main maladroite sur ce fil de funambule. Apprendre à canaliser son énergie. Aujourd'hui, elle n'est encore qu'un électron libre qui zigzague dans tous les sens sans savoir réellement où elle va et son maître est là pour lui montrer la Voie, à commencer par ce premier pas. Ecouter.

Les minutes s'écoulent dans ce silence rythmé par les bruits du monde, les deux montures marchent l'une à côté de l'autre alors que le maître écoute les pensées de son apprentie qui, elle le sent, tournent à plein régime. La jeune fille est préoccupée, toujours par ce nom. Les grimaces de ses sourcils prouvent son acharnement à tendre l'oreille pour entendre ce nom tant désiré, mais rien ne parvient à ses oreilles. Le maître observe son apprentie s'imprégner de cette nouvelle leçon, en silence. Elle l'observe chercher, écouter. Et elle perçoit cet instant infime où la jeune fille parvient l'espace d'une seconde à capter une bribe de quelque chose. Elle ressent. L'air s'électrise, une rumeur murmure dans la brise et soudain, l'apprentie sourit. Lâche deux mots uniques à l'intention de sa nouvelle compagne équine. La jument n'attend pas une seconde, sentant sa cavalière prête pour la grande course, et s'élance naseaux au vent, dans ce galop fou. La jeune fille se couche sur son encolure, rit aux éclats. Et ressent enfin la liberté d'être, simplement.

Le duo s'éloigne, vite. Patience ne bronche pas, reste au pas, alors que sa compagne sourit, observant le dos de sa jeune apprentie. Sa joie est contagieuse, même pour la noble. Un léger rire, discret, s'échappe de ses lèvres, qu'elle ne tente pas même de retenir. Et finalement, elle sourit simplement alors que la jeune fille s'éloigne au galop, touchant au goût de la liberté. Et doucement, le galop de la jument ralentit, la jeune apprentie se redresse et rit toujours au loin. Le duo s'arrête, la cavalière descend de sa monture pour lui offrir une étreinte, le reflet d'un pacte passé entre deux êtres. Un pacte de loyauté éternelle. De loin, Eleanor croise le regard de son apprentie, son étalon n'accélère pas la cadence un instant. Au bout d'une poignée de minutes, le maître parvient jusqu'à son élève, stoppe Patience qui ne bronche pas, n'émet pas le moindre renâclement. Son oeil noir, globuleux, plonge dans celui de la jeune humaine, avant de revenir vers celui de la jeune jument.
Le sourire d'Eleanor n'est plus qu'une ombre sur son visage lorsqu'elle croise le regard de la jeune Helizabeth.

- Jolie sprint. Qu'as-tu ressenti ?

Toujours juchée sur le dos de Patience, la noble laisse la parole à son apprentie. Attentive, elle s'imprègne de chacun de ses mots, de chacune de ses sensations. Et jamais elle ne lâche son regard du siens.

- Merveilleux. A partir de maintenant, ne refais jamais ça.

Les plaines autour de la capitale sont inoffensives, aucun prédateur ou autres brigands, elles se trouvent encore assez proches d'Al-Jeit pour ne rien craindre de plus qu'un petit coup de soleil. Seulement, Helizabeth ignore encore bien des choses à propos de la guilde, mais surtout, de celle qui l'a choisie pour apprentie. Au cours de la Voie d'Eleanor, beaucoup d'ennemis se sont dévoilés. Et aujourd'hui plus que jamais, ils souhaitent la faire tomber. Et avec elle, tous ceux qui lui sont proches. A ces pensées, son coeur se serre, car le visage d'une petite blonde s'impose dans son esprit... Elle ne refera pas l'erreur de sous-estimer l'ennemi. Elle ne refera pas l'erreur d'impliquer l'un de ses apprentis, aussi prometteur soit-il...
En plus de tout ça, Helizabeth doit apprendre à obéir à son maître. Trois ans de sa vie, trois ans de totale obéissance. La marchombre est de l'ancienne génération, les règles sont importantes. Obéir en est une que la jeune apprentie doit comprendre. Et ne pas s'emporter ainsi dans de folles idées ou les leçons futures pourraient bien se terminer en bain de sang... pour elle.

- Remonte en selle, nous allons encore avancer une bonne heure, puis nous nous arrêterons pour ta seconde leçon de la journée.

descriptionCe n'est pas le but qui compte, c'est le chemin EmptyRe: Ce n'est pas le but qui compte, c'est le chemin

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